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Madame Sonia Akpo-Bendjou, activiste béninoise de la diaspora reçue dans une interview sur Newvisafrica Media a présenté sa proposition de sortie de crise sociopolitique au Bénin
( propos recueillis par Gabin Conrad )
Newvisafrica Médias : Vous êtes comptée parmi les grandes activistes du Bénin à l’Étranger, vous avez été présente dans plusieurs rencontres de la diaspora pour les solutions de crise. Vous avez aussi attiré l’attention de l’opposition par rapport aux pièges visibles que comportent les réformes, notamment le nouveau code électoral avant les élections législatives et locales. Dites-nous ce que vous pensez actuellement de la situation sociopolitique au Bénin.
S.A.B: Bonjour Mr le journaliste. Je vous remercie tout d’abord pour l’honneur que vous me faites en me permettant d’opiner une fois encore sur la situation socio-politique de notre pays le Bénin. Je ne dirai pas, comme vous que je suis l’une des plus grands activistes du Bénin à l’étranger. Je fais tout simplement un devoir citoyen de défendre notre patrie, de dénoncer ce qui ne va pas afin qu’on puisse anticiper sur des situations difficiles. C’est justement ma ligne directrice depuis 2016 et pour cela, nous avons créé un mouvement de veille citoyenne le GRADEM. Vous savez, je suis, en toute modestie, une des architectes de l’avènement de Patrice TALON au pouvoir. Fidèle à mon idéal du respect des principes démocratiques et de la promotion/protection sociale, j’ai tourné dos à ce régime pour lequel je m’étais tant battue car je n’épousais plus leur vision. Ce, après les épisodes de déguerpissements où des milliers d’emplois ont été détruits sans contrepartie ni recensement. Pour moi la personne humaine est sacrée et pour des pays comme le nôtre, l’informel est essentiel. Je me devais de vous faire cette petite parenthèse car depuis ces événements le Bénin n’a plus jamais été le même pays. Et lorsqu’on y ajoute les réformes, le tableau est plus que sombre. Aujourd’hui, nous les béninois vivons dans un climat de crainte généralisée surtout quand on ne parle pas le même langage que ce régime. La fracture sociale est des plus profondes, à telle enseigne qu’on a l’impression que le nord est à part et que le sud aussi est à part. Parlant maintenant des réformes. Je suis un peu triste d’avoir eu raison voyant trop tôt; ce que d’autres acteurs politiques et activistes ont pu constater des mois, années plus tard. Déjà en 2018, nous avons dénoncé les réformes sur le code électoral et la nouvelle charte des partis politiques. Personnellement, j’attirais déjà sur la sonnette d’alarme afin que tous les démocrates et patriotes puissent mieux s’organiser afin de mettre en branle le plan d’exclusion que se préparait à dérouler le pouvoir de Patrice TALON. Et qu’est-ce que nous n’avons pas fait en son temps ? Entre sit-in, meeting, déclaration, pétition… nous avons tout fait afin d’attirer l’attention des acteurs politiques sur ce qui se tramait. On a fait ce qu’on a pu mais la mauvaise organisation de l’opposition et de ses ténors ont permis à Patrice TALON d’aller bien loin. Nous avons vu ce que ces réformes ont engendré lors des législatives de 2019, où, pour une fois, le sang a coulé à la suite des manifestations des 1er et 2 Mai. J’entends encore dans ma tête des crépitements des armes automatiques utilisées contre ce peuple. Quelle douleur, quelle souffrance, quand j’y pense! Les communales se sont passées dans des conditions presque similaires avec, comme lors des législatives, l’exclusion du peuple du jeu électoral. Et c’est le même schéma qui se dessine pour ces présidentielles de 2021. Vous aurez remarqué que la compétition n’est pas ouverte. Déjà l’opposition est exclue à nouveau avec des arrestations ciblées et intimidations ; ce qui crée de vives tensions dans le pays au point où ne sait pas ce qui pourrait se passer dans les jours à venir. Dommage. Le Bénin vivait mieux avant 2016 et l’avènement de Patrice TALON au pouvoir est la plus grande des erreurs qu’on a pu commettre au cours de ces 30 dernières années. De toute façon, on ne pouvait pas prévoir ; il a su duper tout le monde.
Newvisafrica Media : La fin du mandat du Président Talon est mise en cause par certains acteurs politiques, dites-nous de quoi il s’agit.
S.A.B : Je présume que vous parlez des 45 jours supplémentaires qui font polémique. Pour faire court, la Constitution du 11 décembre 1990 sur laquelle Patrice TALON a prêté serment, donne au locataire de la marina le droit de présider aux destinées de notre pays jusqu’au 05 avril 2021 à minuit. Et cela est consigné dans le procès-verbal de prestation de serment. Il ne serait donc pas légal d’aller au-delà du 05 avril. Certains acteurs donnent comme argument l’entrée en vigueur d’une nouvelle constitution qui permettrait à Patrice TALON de rester au pouvoir jusqu’en mai. Je voudrais juste vous rappeler que ladite nouvelle constitution votée nuitamment le 1er novembre 2019 à 2h du matin n'a pas reçu l’adhésion populaire. Une semaine après sa promulgation, personne ne pouvait avoir ne serait-ce qu’une version numérique de cette nouvelle loi. Le problème que posait cette constitution qui n’a jamais fait l’unanimité a été réglé en décembre 2020 par la Cour Africaine des droits de l’Homme et des peuples qui l’a jugé contraire aux dispositions de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples. La Cour qui est une juridiction supranationale, dans son verdict, a ordonné à l’Etat béninois de revenir aux lois consensuelles de 1990. Donc si on veut être conséquent et légaliste, les seules lois qui réglementent le vivre-ensemble au Bénin sont la Constitution de 1990 et le code électoral de 2013. Toute autre interprétation n’est que masturbation intellectuelle. En conclusion, conformément à la Constitution béninoise du 11 décembre 1990, le mandat de Patrice TALON prend fin le 05 avril 2021 à minuit. Passé ce délai, il entre dans l’illégalité et l’illégitimité.
Newvisafrica Media : Parlons de la sortie de crise. Avez-vous sous la main une proposition de plan de sortie de crise? S.A.B: Nous avons fait des pieds et des mains pour ne pas en venir là où nous sommes à ce jour. Depuis 2016 nous avons fait des tribunes, lettres ouvertes, pétitions et bien d’autres actions à l’endroit de ce régime qui visiblement à son agenda et ses projets bien cachés mais qui ne contiennent pas la prise en compte des aspirations du peuple béninois. Je crois, pour ne pas être pessimiste, que ce régime a brûlé toutes les cartes qui pourraient lui favoriser une meilleure sortie de crise sauf celle du dialogue social ; un dialogue social franc et sincère, incluant toute la classe socio-politique en vue de penser à mieux organiser le vivre ensemble et remettre le pays sur rails de la démocratie. Des assises nationales s’imposent. Ne pas le reconnaître c’est ne pas laisser autre choix au peuple béninois que d’user de son droit souverain. Quelque soit la sortie après Patrice Talon, il faut absolument et inéluctablement une période de transition pour remettre la république à l’endroit.
Newvisafrica Media: Votre proposition de sortie de crise est assez cohérente mais pensez-vous que le président Talon et son équipe seront favorables à votre feuille de route ?
S.A.B: Aujourd'hui, il ne s'agit plus d'être favorable ou pas, nous sommes dans une situation de crise sans précédent et tendue. Seul le bon sens peut amener à désamorcer les choses afin de rétablir le vivre ensemble de tous les béninois sans parti pris ni de favoritisme.
Newvisafrica Media: Quand et comment faut-il enclencher une telle disposition, puisque nous sommes à quelques jours de la fin du mandat du Président Talon ?
S.A.B : Cher Mr le journaliste, il n'est jamais trop tard pour bien faire. Même le jour du déclenchement du chaos, il est toujours possible de bien faire pour garder la meilleure place de l'histoire de toute une nation. Donc le timing reste un facteur nous appartenant.
Newvisafrica Media: Merci madame d’avoir accepté notre invitation pour cet entretien relatif à la résolution de la crise sociopolitique au Bénin. Nous sommes à la fin de cette interview, avez-vous un mot de fin?
S.A.B : En mot de fin j’attirerai l’attention de nos dirigeants actuels sur le fait que le Bénin est un pays qui a son histoire et son âme. Ce qui a été fait ailleurs n’est pas forcément possible ni faisable chez nous... Il faut tenir compte de cet aspect et de la particularité de notre pays le Bénin. Pour finir, je vais emprunter la prière du feu Mgr de Souza « Nous sommes responsables de ce qui se passera demain. Plaise le ciel qu’aucun bain de sang ne nous éclabousse et ne nous emporte dans ses flots ».
(Propos recueillis par Gabin Conrad)